Grégory Pourrin est le directeur général-fondateur associé du Groupe Centaurus, fort de 40 hôtels 3, 4 ou 5 étoiles, ayant en commun une culture du service personnalisé au bénéfice de l’expérience vécue par leurs clients.
Propos receuillis par Laurent Caillaud
La période de confinement a-t-elle entamé l’image de l’hôtellerie du côté des investisseurs ?
Grégory Pourrin : Les deux années de pandémie n’ont pas changé les hôtels, mais elles ont changé ce que les clients en attendent. Au risque de paraître provocateur, je dirais que l’hôtellerie en est sortie renforcée. Cet univers est par nature en perpétuel changement. C’est dans son ADN de s’adapter en permanence aux évolutions de la clientèle et de ses goûts. La pandémie a prouvé cette résilience tout comme elle a prouvé que les clients ont repris le chemin des hôtels dès qu’ils l’ont pu. Les investisseurs sont donc aussi confiants, voire plus, qu’ils l’étaient en 2019.
En quoi les attentes des clients ont-elles évolué ?
Avec les confinements, les clients ont réalisé que ce dont on peut les priver, c’est l’immatériel, l’expérience. Maintenant qu’ils peuvent à nouveau consommer, ils veulent le faire avec profondeur, avec intensité, densité. Le séjour purement contemplatif a vécu, il s’agit à présent de vivre à 200 % chaque minute passée dans un hôtel. Pour cela, il est impératif que le personnel d’accueil, à commencer par le réceptionniste, apporte une vraie valeur ajoutée dans ses interactions avec la clientèle. S’il s’agit juste de donner une clé, une borne digitale peut le faire. En revanche, le conseil donné par un spécialiste de la destination, la bonne adresse glissée à l’oreille, voilà ce que l’on attend en arrivant à l’hôtel. Un niveau de service qui était autrefois réservé aux concierges des palaces et que l’on doit maintenant retrouver dans tous les établissements. Y compris dans les chambres d’hôtes ! A nous de nous y adapter.
Qu’en est-il de l’hôtellerie d’affaires ?
Les hôteliers, et j’en fais partie, ont longtemps opposé l’hôtellerie de besoin à celle d’expérience. Avec d’une part les hôtels dans lesquels on va par nécessité, notamment professionnelle, et ceux dans lesquelles on va pour le plaisir, par exemple en vacances. C’était une erreur. Le client d’aujourd’hui veut vivre une expérience, quelle que soit la raison de son séjour. Et il attend que cette expérience soit supérieure à ses attentes, supérieure à ce que peut laisser penser le nombre d’étoiles. Cela commence par de petites attentions personnelles, comme de noter le prénom d’un enfant. Mais il va de soi que l’exigence sera plus grande à mesure que l’on monte en gamme. Cela passe aussi par un état d’esprit. Dans les hôtels de Centaurus, j’insiste pour que l’on remette du positif au centre de la relation avec nos clients. Un exemple tout simple, lorsqu’un voiturier vous remet vos clés de voiture lors de votre départ, il va vous demander quel a été le meilleur moment de votre séjour. Ce qui permet de terminer celui-ci sur une note souriante ! Une telle attention ne coûte rien, mais elle joue beaucoup dans cette fameuse expérience.
Est-il vrai que la frontière entre hôtellerie d’affaires et de loisirs est devenue poreuse à l’ère du télétravail ?
Sans hésiter. Avant la pandémie il était nécessaire de proposer le wi-fi. Il est maintenant indispensable de proposer du très haut débit, notamment parce que de nombreux clients vont avancer ou prolonger leur séjour en travaillant depuis l’hôtel. Ou a contrario ajouter deux jours à un voyage d’affaires pour profiter de l’hôtel en couple ou en famille. C’est ce que l’on appelle le bleasure, contraction de business et de leasure. Le télétravail s’avère pour sa part être une excellente nouvelle pour les hôteliers ! En effet, dans le monde d’avant, lorsqu’un salarié devait rester chez lui pour garder ses enfants ou attendre un dépanneur, il posait une RTT. Aujourd’hui il fait cela en télétravail et garde ses RTT pour des journées de vacances, potentiellement à l’hôtel. On estime que chaque année, cela représente environ 15 journées ainsi libérées pour chaque salarié. Et nous ne sommes qu’au début de cette nouvelle ère.
Le business-model hôtelier a-t-il eu le temps de s’adapter ?
Oui car il avait entamé sa mue depuis une dizaine d’années. Pendant des décennies les hôteliers n’ont compté que sur leurs chambres pour gagner de l’argent. En raisonnant en revenu par chambre disponible (ou RevPar). Et c’est par nécessité que les hôtels ont été équipés de salles de petit déjeuner ou de restaurant, ainsi que de salons de séminaire. Ce qui est une aberration comptable, revenant à accepter la présence de surfaces dormantes et d’actifs non utilisés. Cette hôtellerie à l’ancienne appartient au passé, il importe désormais de considérer la marge de manière globale. Je n’imagine plus un hôtel de 4 ou 5 étoiles sans services additionnels proposés aux clients. De manière très simple, en optimisant l’espace disponible pour y créer un vecteur d’expérience. En faisant entrer dans la boucle des chefs étoilés, des spas ou des acteurs du coworking, on crée un écosystème gagnant/gagnant. Et un gain d’attractivité pour l’hôtel, qui n’aura rien coûté à ses gestionnaires.
Le métier a donc changé…
L’hôtellerie repose sur quatre pieds indépendants, chacun représentant un métier différent. Qui détient l’hôtel ? Qui l’exploite ? Qui s’occupe du marketing ? Qui le distribue ? En ayant en tête que le distributeur doit rester indépendant. Oui, ces quatre métiers ont changé, mais ils se sont surtout professionnalisés.
Y a-t-il encore de la place dans l’hôtellerie pour les investisseurs indépendants ?
Bien sûr, à condition de ne pas se laisser griser par l’aventure. L’investisseur qui tente sa chance en indépendant échoue neuf fois sur dix. En effet, il ne suffit pas d’une idée, d’un concept et d’un peu d’argent pour réussir. Nous parlons là d’un métier à part entière, avec ses exigences et ses codes. Ce n’est pas parce que l’on va souvent dormir dans des hôtels que l’on sait comment tourne cette industrie. Car un hôtel ne s’arrête jamais. Il faut le faire opérer 24/24h, pouvoir réparer une fuite d’eau qui survient à 3 heures du matin ou remplacer sur le champ une femme de chambre malade ! D’où la différence entre investir à distance dans l’hôtellerie et acheter un établissement en direct. Investir dans l’hôtellerie via un fonds est une solution de sécurité mais il n’y aura aucun affect de la part de l’investisseur. A contrario, investir seul dans un hôtel représente une réelle prise de risque et demande une confiance absolue dans son gestionnaire.
N'existe-t-il pas de solution intermédiaire entre ces deux voies ?
Pas réellement en France. Il me semble qu’il manque cette 3e voie. Je suis persuadé de l’intérêt de créer un véhicule coté, capable de répondre à des demandes très variées en termes de portefeuille et dont le sous-jacent serait l’hôtellerie, avec son immobilier. Créer ce véhicule intermédiaire serait certainement le moyen de susciter plus d’appétence de la part des investisseurs. Je plaide pour un acteur 100 % digital, qui pourrait reporter en permanence en direct. Que les investisseurs soient présents à hauteur de 5 000 euros ou d’un million d’euros, ils doivent pouvoir connaître en temps réel la valeur liquidative et la performance de leurs actifs. Et l’intérêt de disposer d’’un acteur coté vient de ce que l’on peut y entrer ou en sortir à volonté, à la valeur d’échange du moment. Cette voie intermédiaire est l’avenir, nous sommes plusieurs à travailler sur le sujet…