L’analyse de Gildas Boreau-Potocki, fondateur de GBP Advisory, cabinet de conseil indépendant en immobilier de bureaux.
Propos recueillis par Laurent Caillaud
Le marché des bureaux a-t-il fondamentalement changé avec la pandémie ?
Gildas Boreau-Potocki : La pandémie de Covid-19 a agi comme un accélérateur d’un mouvement que l’on voyait poindre depuis une dizaine d’années. Nous assistons en effet, dans l’Europe entière, à une indéniable contraction des espaces de travail individuels. À la fin du XXe siècle, on considérait qu’un emploi de bureau, surtout s’agissant d’un cadre, nécessitait de 10 à 15 m2 par poste hors espaces communs. Alors qu’en 2022, certaines entreprises tablent sur 4 à 5 m2 ! Ceci résulte de plusieurs facteurs conjugués, à commencer par la nomadisation des fonctions résultant de leur digitalisation. Quel chef d’entreprise accepterait aujourd’hui de louer des mètres carrés de bureau inoccupés par des collaborateurs travaillant à distance ? Qu’on le veuille ou non, le télétravail s’est imposé à marche forcée lors de la pandémie, imposant une réorganisation autant des bureaux que du domicile des salariés concernés.
Est-ce la fin des bureaux individuels dans les entreprises ?
Il est très difficile de se prononcer sur cette question. Les grands groupes avaient entamé bien avant la pandémie une réflexion sur les bureaux mobiles ou partagé, ce que l’on appelle le flex-office. En clair, fini le poste de travail individuel, le collaborateur s’installe là où il le souhaite - ou là où il le peut - en fonction de ses besoins du jour. Il s’agissait là d’une réponse organisationnelle ayant pour objet de réduire la surface locative allouée par l’entreprise. Avec en contrepartie la création d’espaces dédiés à la détente et au bien-être des salariés. En pratique, cette solution n’a pas encore pleinement convaincu. Elle a même généré un turn-over inattendu. Il est donc probable que nous arrivions à de nouvelles organisations des surfaces de bureaux, alliant la nécessaire flexibilité des postes de travail à une certaine personnalisation, voire une plus grande intimité.
En matière d’emplacement, ce qui est la clé de tout investissement immobilier, y a-t-il des gagnants et des perdants après ces trois années de bouleversement ?
Le grand vainqueur post Covid-19 est sans conteste la centralité. Que l’on soit à Paris, à Périgueux ou à Nancy, tout le monde veut être au centre. Certaines entreprises sont prêtes à diviser par trois leur surface pour un même budget et à effectif constant, à condition de quitter la périphérie de l’agglomération où elles étaient installées depuis des décennies. Ceci est directement lié aux changements organisationnels que nous venons d’évoquer. Quitte à l’occuper à temps partiel, mieux vaut un petit bureau dans l’animation d’un centre-ville qu’un vaste espace excentré dans une zone commerciale anonyme. Il est intéressant de constater que cette démarche réunit peu ou prou les dirigeants d’entreprise et leurs salariés !
Les bureaux en périphérie des grandes villes sont-ils condamnés ?
Ils sont en tout cas, à l’heure actuelle, les grands perdants des années écoulées. Le cas de Paris est éloquent. Intra-muros, la demande est telle que le taux de vacances est très faible, autour de 3 %. En 1ère Couronne, soit au-delà du boulevard Périphérique, on est à 15 %. Et ce taux monte à 25 % en 2e Couronne. On estime qu’il y a, en ce 2e semestre 2022 un million de mètres carrés de bureaux vacants en banlieue parisienne ! Pour aggraver cette situation, les tours de 40 étages dont on ne peut ouvrir les fenêtres et dont les ascenseurs font figure de clusters ambulants n’ont plus la cote. Les raisons en sont évidentes. Je fais toutefois confiance au marché et à ses acteurs, qui sauront s’adapter à moyen ou long terme. Mais à quel prix ?
Quel conseil donner aux investisseurs potentiels ?
Comme toujours en matière d’immobilier, il convient de privilégier l’emplacement. S’il s’agit d’acheter 100 m2 pour les mettre en location en direct, la démarche se rapproche d’un investissement résidentiel. Raison de plus pour rester dans la ville - ou au moins la région - où l’on habite et que l’on connaît. Attention ensuite à bien vérifier l’affectation du bien, notamment à Paris. De nombreuses communes sont très pointilleuses sur le sujet. Il est indispensable de faire vérifier par un notaire que l’usage en tant que bureau est possible, et dans quelle mesure. Dans le cas d’un investissement plus important, par exemple 3 000 à 4 000 m2, il importe de se concentrer sur les valeurs sûres que sont Paris, Lyon et Marseille, suivies des 10 plus grandes villes de France. Mais il importera alors de se faire accompagner par un cabinet spécialisé pour éviter les déconvenues.