Simplement informatif hier, le Diagnostic de performance énergétique (DPE) a valeur légale depuis le 1er juillet 2022. Ce simple document bouleverse à lui seul le marché immobilier et oblige les propriétaires de biens énergivores à entamer des travaux onéreux. Ou à vendre, s’ils ne peuvent pas se le permettre. Tout cela en un temps record.
Par Louis Janmot
Trois lettres peuvent, à elles seules, provoquer des nuits blanches. C’est peut-être bien le cas du Diagnostic de performance énergétique, dit DPE, qui a été profondément réformé le 1er juillet 2022, non sans conséquences directes pour une bonne frange des propriétaires français, dont les bailleurs. Si l’objectif de cette réforme paraît louable sur le papier, notamment pour ce qui est d’inciter davantage les acquéreurs à la rénovation énergétique, sa concrétisation semble laisser peu de place aux nuances et bouleverse le marché immobilier en le cloisonnant dans des catégories rigides. Hier encore, le DPE n’avait qu’une fonction informative et n’était pas obligatoirement publié sur une annonce de vente ou de location. Mais, depuis cette réforme, portée par le gouvernement et le ministère du Logement, il engage une responsabilité vis-à-vis des propriétaires.
Des obligations légales
Fini le DPE vierge. Comme dans sa version d’origine, ce diagnostic est réalisé par un professionnel agréé, qui classe les biens sur une échelle allant de A, la meilleure note, à G, la pire, en fonction de leur performance énergétique, pour une durée de validité de dix ans. La différence étant que ce nouveau DPE doit désormais être obligatoirement affiché sur les publications d’annonces de vente ou de location. La classe énergie, la classe climat, et le montant des dépenses théoriques de rénovation doivent en effet apparaître obligatoirement avant d’être annexés au contrat final.
Autre nouveauté : l’estimation de ce DPE ne repose plus sur la consommation des usagers mais sur les caractéristiques techniques du bâtiment. Le calcul est en effet réalisé à partir de la consommation théorique et des données d’émission de CO2, le moins bon résultat des deux déterminera ensuite la note du diagnostic. La loi Climat et résilience, rendue effective également depuis l’été dernier, donne à son tour une valeur légale aux classes du DPE. Ce document pourra donc être utilisable en justice en cas de contentieux avec l’acquéreur ou le locataire.
Du fait de cette valeur légale, les détenteurs des logements les plus gourmands en énergie, à savoir les biens classés E, F et G, se verront ainsi peu à peu privés de certains droits, comme celui d’augmenter les loyers. Une contrainte qui s’ajoute aux bailleurs, alors que des gels de loyers étaient déjà imposés dans 1149 villes de zones tendues pour les cas de relocation, sauf clause de travaux ou de sous-évaluation du loyer. Pour les logements classés F et G situés en zone tendue, il n’était plus du tout possible d’augmenter les loyers en cas de changement de locataire, depuis le 1er janvier 2021, et seuls les baux en cours pouvaient encore bénéficier de l’indexation. Mais, depuis le 25 août dernier, le gel des loyers s’est étendu à tout le territoire français, sans exemptions, pour les passoires énergétiques F et G. Impossible désormais, pour les propriétaires de ces biens, de revaloriser le loyer si le bail est conclu, renouvelé ou tacitement reconduit depuis le 24 août 2022.
Les locataires prennent le dessus
La balle est désormais dans le camp des locataires. C’est en effet à eux qu’il appartient de faire appliquer les règles de la loi Climat. Ainsi, lorsqu’un locataire estimera ou constatera que son logement est indécent car ne respectant pas le seuil minimal de performance énergétique, il sera en droit de se retourner contre son propriétaire et de lui demander la mise en conformité de ce logement. Même chose s’il remarque un trop grand écart entre ses factures énergétiques et sa consommation théorique : le propriétaire devra engager des travaux de rénovation et d’isolation. S’il refuse ou s’il ne donne pas suite à la requête de son locataire dans les deux mois, il risque tout bonnement une convocation au tribunal judiciaire. Le juge pourra alors le contraindre à réaliser ces travaux de remise aux normes, en plus de lui imposer des dommages et intérêts, ainsi qu’une éventuelle réduction de loyer.
Mais que faire lorsque le propriétaire, de bonne foi, ne peut pas réaliser les travaux demandés ? Quid, en effet, des biens dont la rénovation dépend d’une copropriété ? Dans ce cas de figure, le chauffage est souvent collectif et l’isolation thermique, par l’extérieur, ce qui est l’affaire de l’immeuble tout entier. La loi Climat prévoit alors que ces propriétaires, s’ils sont de bonne foi, puissent déroger à la règle, tant qu’ils prouvent l’infaisabilité technique de ces travaux. Mais, pour ce qui est de louer ces biens, ce sera là en principe impossible dès le 1er janvier 2025, pour ceux qui seront classés G. Et même avant, dès le 1er janvier 2023, pour les habitations dont la consommation énergétique sera supérieure à la limite des 450 kWh d'énergie finale par mètre carré de surface habitable et par an, soit les plus énergivores de la catégorie G (ces logements étant considérés comme indécents). Les logements classés F suivront en 2028, puis ceux classés E en 2034. Autant dire que le temps presse. Il faut donc faire un choix dès à présent : rénover ou revendre. Problème, la valeur des logements les moins notés dégringole déjà.
Des décotes en série
Tout va en effet très vite. Les propriétaires et les investisseurs doivent agir avant que leur bien ne se retrouve trop dévalorisé, faute de pouvoir le louer. Car le cycle baissier est déjà en marche en ce qui concerne les logements les moins bien notés : selon une étude PriceHubble publiée par les Notaires de France en novembre 2022, la valeur des biens à la vente varie déjà de 34% selon la note énergétique. Une autre étude menée conjointement par MeilleursAgents et SeLoger indique que les passoires thermiques peuvent perdre jusqu’à 17% de leur valeur. Selon cette étude, un bien trop gourmand en énergie perd en effet 6,7% de sa valeur comparée à un logement identique mieux noté. Parmi les biens, ce sont d’ailleurs les maisons qui perdent le plus en valeur, jusqu’à 17% selon cette étude. Les appartements classés F ou G perdent en moyenne 13% de leur valeur quant à eux, en comparaison des biens identiques classés A ou B. La surface des maisons étant généralement plus importante, le coût de leur rénovation l’est aussi, parfois plus que le foncier lui-même.
Les acquéreurs potentiels ont donc une marge de négociation plus importante que par le passé : selon le baromètre LPI-SeLoger, cette marge de négociation moyenne atteint 5,6 % du prix de vente pour l’ensemble des logements en France, pour une augmentation de 52% sur un an. Ces marges grimpent même jusqu’à 7 % du prix dans les régions où l’activité immobilière a le plus diminué, comme en Bourgogne-Franche- Comté, en région Centre et Champagne-Ardenne.Le DPE est en effet devenu le principal levier de négociation sur l’ensemble du territoire. Mais rénover un bien n’est pas donné à tout le monde, et nombreux sont les propriétaires qui se retrouvent contraints à vendre, plutôt que d’engager de grosses dépenses dans des travaux de remise aux normes énergétiques.
Des travaux onéreux et longs à enclencher
Changer de classe énergétique engendre un coût non négligeable, et chaque étape compte. Avant d’entamer les travaux, il faut d’abord solliciter un professionnel du diagnostic pour obtenir un DPE récent. Cette première étape coûte en moyenne entre 150 et 200 euros pour un appartement deux pièces, et entre 250 et 300 euros pour une maison. Pour la suite, ce n’est pas aussi simple : un audit énergétique doit en effet être réalisé par un spécialiste agréé qui définira la nature des travaux à réaliser. Cette opération est généralement facturée entre 500 et 1 000 euros selon les professionnels et la zone géographique qu’ils couvrent. Il faudra ensuite recruter des artisans, mais pas n’importe lesquels : seuls les artisans labellisés comme Reconnus garants de l’environnement (RGE) sont réellement à même de réaliser les devis. Il est également nécessaire de passer par l’un de ces professionnels RGE pour obtenir une aide financière de l’État, dans le cadre du dispositif MaPrimeRénov’. Mais cette catégorie répertoriée dans l’annuaire des professionnels qualifiés ne court pas les rues, certains professionnels estiment à 10% leur part dans le secteur du bâtiment.
Quant aux aides, si elles existent, leur montant évolue selon le niveau de revenus du foyer, le nombre d’occupants du logement, sa localisation et le gain écologique des travaux. À titre d’exemple, le montant de l’aide MaPrimeRénov’, de 10 000 euros maximum, sera nulle ou faible pour un(e) célibataire vivant en région Ile-de-France gagnant au-delà de 38 000 euros de revenus, et au-delà de 29 000 euros en province. Elle sera également nulle, ou faible, pour une famille avec deux enfants qui gagnerait plus de 79 000 euros en région parisienne, et 60 000 euros en province. Et mieux vaut s’armer de patience puisqu’il faut en moyenne six mois à un an pour instruire un dossier. Cette prime ne prend pas tout en compte, comme les travaux d’isolation des combles perdus. À noter que MaPrimeRénov’ n’intègre que les travaux d’isolation par l’extérieur sur une surface de moins de 100 m², alors que ce type d’opération s’applique généralement sur des surfaces de 120 m². Dans tous les cas, il faudra avancer les frais puisque cette prime ne sera versée qu’une fois les travaux achevés, parfois au bout d’une année. Sur la facture, il est important également de prévoir l’évolution du coût des matériaux pour les artisans, qui ont grimpé de 11% en 2021 et de 10% encore en 2022, selon la fédération française du bâtiment (FFB).
S’ajoutera enfin le reste à charge. Selon la FFB, le montant restant à payer est d’environ 60% pour les ménages de classe moyenne, les aides comme MaPrimeRénov’ ou les certificats d’économie d’énergie (C2E) s’appliquant plus généralement aux foyers modestes. Un prêt bancaire s’avère alors nécessaire pour financer les travaux de rénovation les plus importants, mais encore faut-il qu’il soit accordé. Difficile, dans cette équation, d’atteindre l’objectif de 80 000 nouveaux DPE par le ministère de la Transition énergétique, depuis le lancement de l’aide financière de l’État. Selon le rapport de la Cour des comptes de mars 2022, seuls 2 500 logements sont sortis du statut de passoire thermique en 2021, sur 644 000 ménages ayant déposé un dossier et obtenu une prime de 3 000 euros en moyenne. Tous les voyants ne sont pas encore au vert.
Comprendre le nouveau DPE
Depuis le 1er juillet 2021, le diagnostic de performance énergétique (DPE) n’a plus seulement une valeur informative. Le propriétaire engage désormais sa responsabilité contractuelle et juridique.
Le nouveau DPE est calculé en fonction de la consommation annuelle d’énergie, mesurée en kilowattheures par mètre carré (kWh/m2), et en émissions de CO2 théoriques, libellées en kilogramme par mètre carré et par an. Il est classé en sept catégories : A (logement extrêmement performant), B (très performant), C (assez performant), D (assez peu performant), E (peu performant), F (très peu performant) et G (extrêmement peu performant).
Pour établir le DPE, le diagnostiqueur s’appuie sur les caractéristiques physiques du logement uniquement, à partir des factures de travaux. En leur absence, le classement sera défavorable de facto.
Parmi les nouveautés, le DPE fait apparaître le montant théorique de la facture énergétique, le détail des déperditions thermiques ou encore l’état de l’isolation et de la ventilation. Il fournit aussi des recommandations de travaux et une estimation des coûts nécessaire pour améliorer sa classe énergétique.
Le DPE diffère de l’audit énergétique. Le diagnostic de performance énergétique est un rapport d’évaluation tandis que l’audit énergétique est une étude permettant d’améliorer la situation énergétique du bien. La réalisation d'un audit énergétique sera obligatoire pour les ventes de maisons individuelles et immeubles en monopropriété classés F ou G dont la promesse de vente ou, à défaut, l'acte de vente, sera signé à partir du 1er avril 2023.
DPE erroné : qui est responsable ?
En cas d’erreur sur le DPE, la responsabilité du propriétaire n’est pas engagée. Celle-ci revient au contraire au professionnel qui a effectué ce diagnostic. Cette différence s’explique par le fait que la réalisation du DPE nécessite des bases techniques qui ne peuvent pas être effectuées par le propriétaire du logement. Il doit en effet faire appel nécessairement à une entreprise spécialisée et c’est donc vers elle que l’acquéreur ou le locataire devra en principe se retourner en cas de litige. Cependant, il existe des situations où le propriétaire peut bel et bien être tenu pour responsable d’une erreur de DPE. Ce sera le cas s’il affiche volontairement des indices différents du DPE réel ou s’il choisit un professionnel non certifié pour réaliser son diagnostic. Le propriétaire risquera alors jusqu’à 1 500 euros d’amende et 3 000 euros en cas de récidive. De son côté, le diagnostiqueur doit impérativement envoyer son DPE à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), sous peine de 1 500 euros d'amende encore. L’Ademe délivrera ensuite un numéro à 13 chiffres qui sera inscrit sur le DPE du propriétaire. Sans ces 13 chiffres, ce DPE ne sera pas valable. Une fois obtenu, il devra figurer dans le dossier de diagnostic technique (DDT) du propriétaire, pour être remis ensuite au futur acquéreur ou locataire. Logements classés G : l’interdiction encore relative
Attention, tous les logements classés G ne seront pas considérés comme indécents dès janvier 2023. Tout d’abord, les baux en cours ne seront pas concernés et l’interdiction ne s’appliquera qu'aux contrats de location signés à compter du 1er janvier 2023. L’interdiction ne s’appliquera pas non plus, en l’état actuel, aux logements destinés uniquement à la location touristique. Enfin, et c’est peut-être le plus important, seule la consommation en énergie finale compte. Pour rappel, son seuil est fixé à 450 kWh/m²/an. S’il est dépassé, il est fortement déconseillé de louer le bien à compter du 1er janvier 2023, car indécent. Mais, si cette consommation en énergie finale n’est pas dépassée, le propriétaire pourra encore proposer des baux d’habitation jusqu’en 2025. En revanche, dès cette date, tous les logements présentant un DPE de classe G seront déclarés comme indécents. Les biens notés F suivront dès le 1er janvier 2028, puis les E dès 2034, et seuls les logements classés entre A et D pourront être loués sans risque. Pour ce qui est du montant des loyers, celui-ci ne peut plus augmenter si le bail est conclu, renouvelé ou tacitement reconduit depuis le 24 août 2022 pour les biens classés F et G. Le complément de loyer est également interdit par le législateur depuis le 18 août 2022, dans le cadre de la loi « pouvoir d’achat », pour tous les nouveaux baux signés si le logement en question est classé F ou G (cette mesure concerne les 24 villes soumises à l’encadrement des loyers, comme Paris ou Lille).